Il est évident que de nombreux français ont eu à subir quelques désagréments ou pertes économiques à cause du blocage des raffineries pétrolières françaises. Malgré tout, je tiens tout de même à remercier chaleureusement les grévistes.
En disant cela, vous pourriez penser que je suis un fervent défenseur de la retraite à 60 ans et que j’attendais beaucoup de ces blocages pour préserver notre acquis social. Et bien pas forcément, et je me suis d'ailleurs déjà exprimé à ce sujet dans un autre article.
Si je tiens à remercier les grévistes, c’est parce qu’ils ont créé les conditions nécessaires pour tester notre niveau de dépendance et la frénésie populaire pour obtenir les quelques précieux et indispensables litres de pétrole.
Cette expérience trouve ses origines dans un conflit politique. Elle était donc temporaire et il suffisait d’un fléchissement de l’une des parties pour que le mouvement cesse. Nous pourrions également comparer cela à la crise pétrolière de 1973 dont les origines étaient également politico-financières.
Or, nous serons soumis dans les années à venir, au phénomène de « pic pétrolier ». A partir de ce moment, le prix du pétrole augmentera fortement et durablement et la demande sur les marchés étant supérieure à l’offre, nous pourrions voir apparaitre un rationnement des pays importateurs.
Avoir la possibilité d’observer les conséquences d’une rupture d’approvisionnement est donc une chance. En effet, il a été possible d’observer un certain nombre de choses qui méritent que l’on s’y attarde.
Mouvement de panique
Dès l’annonce des blocages, la réaction immédiate des français consiste à faire des réserves. Il s’agit d’une réaction de panique qui accélère le problème en vidant les stations service plus rapidement. A cet instant, l’individuel prime sur le collectif car l’absence totale de réserves individuelles génère un sentiment d’impuissance qu’il faut à tout prix déjouer.
La plupart des français ont besoin d’essence tous les jours. Trois solutions se profilent alors pour ne pas céder à la panique: diminuer le besoin, prévoir des alternatives et mettre en place un stock individuel. Face à une situation temporaire, le stock permet d’éviter une situation de panique tout en organisant plus sereinement les jours suivants.
En revanche, dans le cas d’une pénurie durable (après pic pétrolier), il est préférable d’avoir diminué au maximum ses besoins par une réorganisation progressive du mode de vie (achats de proximité, utilisation du vélo, télétravail, transports en commun, échange de compétences avec les voisins …).
La vérité masquée
Le gouvernement a nié jusqu’au bout les difficultés générées par la pénurie. Les ministres interrogés rassuraient sans cesse indiquant qu’il n’y avait aucun problème, qu’il y avait largement de quoi gérer la situation. Les décideurs n’admettent publiquement les situations difficiles que lorsque nous avons le nez dedans.
Anticiper un choc ou une crise serait susceptible de provoquer un mouvement de panique non maîtrisable. Donc plutôt que de préparer un évènement prévisible, l’Etat s’occupe de certains problèmes dans l’ombre mais n’en informe pas la population sauf s’il est soumis à l’évidence et à la pression des médias.
Il ne faut pas attendre du gouvernement qu’il informe les citoyens sur le pic pétrolier et ses conséquences. Cette absence de transparence et cet aveu d’impuissance ne sont pas rassurants car ils indiquent clairement que notre capacité d’anticipation ne peut plus exister avec un pouvoir centralisé, sauf si elle génère de la croissance.
Par exemple, limiter les émissions de gaz à effet de serre génère une croissance verte en créant de l’emploi dans le bâtiment, les économies d’énergie, les énergies renouvelables, donc le gouvernement s’en préoccupe et communique sur ce thème.
Il semble donc vain d’attendre une confirmation ministérielle concernant la future hausse des prix et la probable indisponibilité du pétrole sur les marchés. Par ailleurs, je vous annonce (c'est un scoop !) qu'un haut fonctionnaire du ministère de l'intérieur m'a indiqué la chose suivante:
En l'absence de consensus sur la période du pic pétrolier, le délai est estimé à 30 ans et aucune préparation ni gestion de crise n'est envisagée à ce jour.
Un système économique très vulnérable
Toutes les entreprises françaises étaient logées à la même enseigne. Les bus, les ambulances, les camions de marchandises, les commerciaux, les médecins … tous faisaient la queue pendant des heures dans les stations, montrant ainsi à quel point l’essence est devenue complètement indispensable au fonctionnement de l’économie. Les transporteurs routiers ont vu leurs réserves se vider en quelques jours à peine, les rapprochant ainsi d’une inévitable faillite en cas de prolongement de la situation.
L’activité économique de notre pays est trop vulnérable face aux aléas énergétiques. La situation économique mondiale ne permet plus d’envisager l’avenir avec une totale insouciance et il est fondamental que tous les secteurs se préoccupent de connaître leur niveau de résilience face à d’éventuelles difficultés.
Si certains secteurs ne peuvent pas faire sans pétrole aujourd’hui, ceux qui en revanche peuvent trouver des alternatives doivent y réfléchir dès à présent afin de sécuriser leur activité. Il s’agit pour cela d’analyser tous les éléments essentiels à l’activité, de vérifier la diversité et la redondance des sources et éventuellement les réserves à mettre en place.
La grande distribution mise à mal
L’organisation de la grande distribution est essentiellement basée sur des flux logistiques incessants. Elle est donc très dépendante au pétrole. Ainsi, la perception de cette fragilité a conduit à une menace de la grande distribution d’acheter leurs carburants à l’étranger.
Par ailleurs, ce système de logistique en flux tendus implique une quasi absence de stocks. Pour l’ensemble des produits, les grandes enseignes disposent tout au plus d’une quinzaine de jours de stock entre les plateformes logistiques et les supermarchés. Pour ce qui est des produits frais et de grande consommation, ce sont un à deux jours maximum !
Si les blocages avaient duré une semaine de plus, les supermarchés auraient commencé à se vider.
Nos besoins essentiels tels que l’alimentation, l’hygiène et la santé sont extrêmement dépendants de la production industrielle et de la grande distribution. Est-il tolérable que la réponse à nos besoins primaires soit confiée à un système aussi vulnérable et aussi peu résilient ?
Il faut absolument repenser rapidement cette organisation non durable, polluante par l’énergie qu’elle consomme pour son fonctionnement, et surtout très vulnérable à la moindre rupture d’approvisionnement de pétrole.
Les collectivités locales doivent s’assurer qu’elles disposent, sur leur territoire, d’un stock alimentaire et sanitaire minimum et d’un système de production diversifié et local minimum pour répondre aux besoins de la population.
Le prochain blocage ne sera peut-être pas en France
Chacun d’entre nous a pu faire le constat de tous ces éléments. Il ne s’agit pas de suppositions mais d’une réalité évidente. Contrairement à ce que nous pourrions penser, notre système est extrêmement fragile car il tire sa force et son pouvoir de quelques rares piliers fondamentaux comme le pétrole.
Nous avons eu la chance de vivre une expérience grandeur nature de ce qui nous arrivera demain, lorsqu’il n’y aura plus assez de pétrole pour répondre à la demande mondiale. Or tous les experts s’accordent à dire que cette situation arrivera avant 2020.
Il nous reste donc dix ans pour prendre conscience de notre vulnérabilité, ouvrir les yeux sur notre dépendance quasi-totale aux importations de pétrole, et commencer à réorganiser la société en fonction de cela.
Les français, avec les élus locaux et le soutien de l’Etat, doivent se réorganiser pour supprimer tous les transports inutiles et relocaliser, à chaque fois que c’est possible, la réponse à leurs besoins essentiels
La résilience se contruit aussi en tirant les leçons de ses propres expériences !