Restera-t-il assez d'eau pour refroidir les centrales nucléaires ? Réponses à JM Jancovici

03 juillet 2023

Jean-Marc Jancovici a souhaité répondre, via Facebook à la question qui lui est souvent posée : « Restera-t-il assez d'eau pour refroidir les centrales nucléaires dans un pays qui connaîtra de plus en plus de sécheresses ? »

Il s'appuie pour cela sur une étude de la SFEN (Société Française d'Energie Nucléaire) et en tire des conclusions rassurantes qui méritent, à mon sens, quelques éclairages !

1/ Débit moyen n'est pas débit d'étiage

Pour calculer la capacité des fleuves à refroidir les centrales, la SFEN s'appuie sur le débit moyen des fleuves. 

« - le débit du Rhône est d'environ 1000 m3/s
- pour la Loire c'est environ le tiers. »

Donc, pour la Loire, la SFEN considère un débit d'environ 330 m3/s
Le débit de référence pour la gestion des barrages est mesuré à Gien, en amont de la centrale nucléaire de Dampierre-en-Burly et ses 4 réacteurs. Au pire de l’étiage ces dernières années, le débit de la Loire à Gien était de 40 à 45 m3/seconde, et même 38 m3/s en août 2022.
Déjà extrêmement bas, ce débit est rendu possible uniquement par le soutien d'étiage, c’est-à-dire la libération progressive de l’eau contenue dans les barrages de Naussac et Villerest. Or, ceux-ci se remplissent de moins en moins bien l’hiver et la période d’étiage est toujours plus longue.

En 2003, le débit naturel (sans le soutien des barrages) de la Loire était à 10 m3/s à Gien. En août 2019, il était à 0 m3/s à Orléans, ce qui signifie qu'en cas d'impossibilité, à l'avenir, de remplir suffisamment les barrage en hiver, la Loire pourra être à sec certains étés.
Ces débits ne sont pas des simulations climatiques, ils ont été constatés en 2003 et 2019, 2022... sur une Loire qui sert à refroidir 12 réacteurs actuellement. Rappelons que la centrale de Chinon se porte volontaire pour accueillir un ou deux EPR.










La faiblesse du raisonnement, c’est d’évaluer la capacité d'un fleuve à refroidir des centrales en période de sécheresse, en considérant le débit moyen. Cela revient à se demander si un panneau solaire pourra produire de l'électricité la nuit en partant d'un ensoleillement moyen. Ça ne sert à rien. Quand il n'y a plus de soleil, il n'y a plus de soleil, quand il n’y a plus d'eau, il n’y a plus d'eau, débit moyen ou pas. Cette variabilité est d'ailleurs ce que les défenseurs de l'énergie nucléaire reprochent aux énergies renouvelables...

La question se pose finalement pour tous les fleuves. Je partage ici les chiffres de la Loire parce que je connais bien le sujet, mais il est envisagé une diminution du débit d'étiage du Rhône de 20% en 2055, et les glaciers des Alpes qui représentent 60% du débit actuel du fleuve, devraient avoir disparu en 2100. La Moselle, qui refroidit Cattenom, est descendue à 18,5 m3/s en 2022, ce qui ne permettait plus de refroidir la centrale, sans parler de Golfech sur la Garonne ou de la Seine à Nogent... 

Alors, on pourrait tempérer le problème en admettant que, jusqu'à récemment, la consommation d'électricité était bien plus basse en été qu'en hiver (environ 30%), ce qui permettait de faire la maintenance des réacteurs pendant cette période. Mais avec l'augmentation du nombre de pompes à chaleur / climatiseurs et de véhicules électriques, ce contraste va s'atténuer et la demande estivale d'électricité va forcément augmenter.

2/ L’eau ne sert pas qu’aux centrales

Ces calculs ne tiennent pas compte du fait que l'eau est le premier élément vital, avant l'alimentation. Or, quand on prélève l'eau d'un fleuve pendant l'étiage, sans la restituer, on fait baisser dramatiquement le niveau de la nappe alluviale. Certaines villes de bord de Loire, comme Vouvray et Vernou-sur-Brenne, ont déjà eu leur forage d'eau potable à sec en 2019. Quelle sera la priorité à l’avenir et en pénurie d’eau ? Produire de l’électricité ou boire ?

Et qu'en est-il du réchauffement de l’eau, de ses impacts sur la biodiversité, des algues, mais aussi des besoins de l'agriculture, tout cela avec un débit qui tendra vers 0 en été ?









Algues vertes en Loire







3/ Fiabilité des chiffres de la Société Française d'Energie Nucléaire

La SFEN est ici, comme dans de nombreux documents, citée en référence sur ce sujet. Je m’interroge fortement, après avoir constaté qu'elle a modifié largement ses propres chiffres et sa formulation sémantique -en pleine relance du nucléaire et en plein débat sur la gestion de l'eau- pour faire passer les consommations du nucléaire en France comme négligeable.

14 mars 2023 - Un article de France info indique la chose suivante :
« la consommation d'eau par le nucléaire représentait "22 % du volume consommé" au total en France dans une année. Chiffre repris par le Centre d'information sur l'eau puis par la Société française d'énergie nucléaire. »
16 mars 2023 – Deux jours plus tard, la SFEN est encore citée dans un article du site Révolution Énergétique, avec un renvoi vers leur article publié en mai 2022 :
« Au total, le bilan de la consommation d’eau pour les 30 réacteurs concernés (en circuit fermé) est de 550 millions de m3/an, soit 20 % du bilan de consommation de l’eau en France, derrière l’irrigation (48 %) et la consommation d’eau potable (24 %). »

Jusqu’au 16 mars, la SFEN considère donc que le nucléaire représente plus de 20% de la consommation d’eau du pays. Puis, bizarrement, l’article de référence a été mis à jour le 19 mars 2023. Celui-ci affirme désormais :
"Au total, le bilan de la consommation d’eau pour les 30 réacteurs concernés est environ de 5 à 10 % de la consommation de l’eau en France, loin derrière l’irrigation (48 %) et la consommation d’eau potable (24%)."

Selon la SFEN, en 10 mois (de mai 2022 à mars 2023), la part de la consommation par les centrales nucléaires a été divisée par 4, passant de plus de « 20% (...) derrière l’irrigation »,  à … « 5 à 10% (...) loin derrière l’irrigation ».

Est-il normal pour un organisme scientifique faisant référence sur le sujet de faire varier de manière aussi importante les chiffres qu'il diffuse, sans explication évidente ?

[ajout du 18/07/2023] La SFEN s'appuierait, non pas sur ses propres chiffres, mais sur ceux, en forte évolution, diffusés à cette période par le Ministère de la Transition Ecologique, à partir des chiffres de consommation d'EDF. Sachant que le vice-Président de la SFEN est le Directeur de la production nucléaire chez EDF, il reste surprenant que celle-ci fournisse un chiffre actualisé aussi approximatif (5 à 10%) et que les données initiales (20%) soit aussi éloigné des "vraies données" de consommation, alors que le parc nucléaire fonctionne depuis 30 à 40 ans. 

4/ Problème de sureté ou de production ?

En reprenant cet article de la SFEN, la question à laquelle JM Jancovici veut apporter une réponse est la suivante :"Restera-t-il assez d'eau pour refroidir les centrales nucléaires dans un pays qui connaîtra de plus en plus de sécheresses ?".

Les réponses que j'attendais de sa part, concernent notre capacité future à produire de l'électricité avec des centrales nucléaires situées sur les fleuves, malgré le réchauffement climatique et le manque d'eau pour le refroidissement.

Or, il conclut son propos avec la phrase suivante : 

"Même en cas de baisse des précipitations en France ces volumes [pour des réacteurs à l'arrêt] resteront disponibles (sinon le pays devient semi-désertique et c'est une autre histoire !). Le risque est donc, à ce jour, celui d'une baisse de la production (comme pour l'hydro), mais pas un problème majeur de sûreté (ouf)."  

JM Jancovici nous démontre ici qu'en considérant le débit moyen d’un fleuve en 2023, il sera tout à fait possible, à l'avenir, de refroidir des centrales à l'arrêt. Cette information est n'a pas vraiment d'intérêt, mais elle rassure surement certain.es lecteurs et lectrices sur la pertinence d'investir dans notre parc nucléaire.

Evidemment, la question de la sureté est essentielle. Mais on parle ici d'un nouveau programme nucléaire qui se chiffre en dizaines de milliards d'euros pour construire de nouveaux EPR, notamment sur ces fleuves, dont la mise en service ne se ferait pas avant 2040 pour fonctionner jusqu'en 2100. Le minimum serait de s'interroger sur le refroidissement de ces centrales dans un monde à +2, +3, +4 degrésdans le cadre de la production d'électricité et pas uniquement pour des réacteurs à l'arrêt. Sinon, on a autre chose à faire avec cet argent !

Carte des centrales nucléaires en France et des projets EPR
Carte des centrales nucléaires en France et des projets EPR










Sachant qu'un EPR mis en service sur un fleuve consommera la même quantité d'eau qu'une métropole comme Lyon ou Marseille, la question mérite d'être posée beaucoup plus sérieusement, avec de la nuance et en lien avec des réalités territoriales complexes.



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