Peut-on (et doit-on) toujours parler de pic pétrolier ?

10 novembre 2015

Le secteur énergétique mondial est devenu imprévisible. Vous me direz, ce n'est pas une nouveauté puisque l'Agence Internationale de l'Énergie s'est toujours trompée dans ses prévisions sur les prix du pétrole et que l'ampleur du développement des gaz et pétrole schiste aux États-Unis n'avait pas été anticipée. La période que nous traversons est devenue trop complexe pour être expliquée en quelques mots, ce qui arrange bien tous ceux qui préfèrent ne pas en parler. Quant à ceux qui faisaient l'effort d'évoquer le pic pétrolier, ils se trouvent souvent sans argument face à la baisse des prix.

Évolution réelle du prix du baril de pétrole (courbe rouge) et prévisions successives de l'Agence Internationale de l'Énergie (World Energy Outlook). Source: Olivier Rech

Évolution réelle du prix du baril de pétrole (courbe rouge) et prévisions successives de l'Agence Internationale de l'Énergie (World Energy Outlook). Source: Olivier Rech

Il n'est pas rare d'entendre, au cours d'une discussion, qu'un jour il n'y aura plus de pétrole et qu'il va devenir très cher. L'objectif de ces affirmations est de faire prendre conscience à l'auditeur qu'il utilise une ressource dont le stock est limité et de l'inciter à modifier son mode de vie, car le prix va mécaniquement augmenter et rogner de plus en plus sur son budget. Malheureusement, depuis l'effondrement du prix du pétrole, ce discours devient inaudible, à juste titre. Dans une telle situation, soit on évite d'aborder le sujet, soit on prend le temps de comprendre et d'expliquer les choses telles qu'elles sont. La première solution est la plus simple mais ne sert à rien, la seconde est certes plus complexe, mais pas inaccessible et dans tous les cas utile !

"Merci de patienter, nous sommes en train de forer"

"Merci de patienter, nous sommes en train de forer"

Le diable est dans les détails

Une explication simpliste peut parfois être contre-productive. Lorsque l'on dit "un jour il n'y aura plus de pétrole", si on y réfléchit bien, cette affirmation sans plus de précision n'a aucun sens. Si l'on parle du stock de pétrole qu'il y a dans le sol, alors c'est simplement faux, car il y aura toujours du pétrole que l'on ne trouvera jamais ou que l'on n'ira pas chercher. C'est la différence entre les ressources (quantité de pétrole présente dans le sol) et les réserves ultimes (quantité de pétrole qui aura été extraite par l'humanité). Vu sous cet angle, il y aura toujours du pétrole.

En revanche, si on précise (par exemple) "... plus de pétrole dans votre station service", la situation est très différente, car pour arriver dans votre station, il a fallu extraire le pétrole brut (contraintes techniques, économiques, géologiques), le transporter (contraintes économiques et géopolitiques), le raffiner puis le livrer à côté de chez vous (contraintes techniques). Dans ce cas, les contraintes sont telles qu'en effet, un jour il n'y aura plus de pétrole dans votre station service (surtout si vous n'habitez pas en Arabie Saoudite). Ce n'est qu'une précision, un petit complément circonstanciel qui change tout !

C'est la même chose pour le prix. On a tendance à dire trop rapidement que "le pétrole va être de plus en plus cher", alors forcément, quand son prix est divisé par deux, les détracteurs rigolent et il faut sortir les rames pour tenter d'expliquer les raisons de cette baisse momentanée. Ce qui est toujours vrai, c'est que le coût de production du pétrole (énergétique, social, environnemental et financier) augmente. Par conséquent, si le prix de vente baisse trop -comme c'est le cas en ce moment- les producteurs perdent de l'argent, qu'il s'agisse des majors (Total, Exxon mobil, etc.), ou des pays producteurs.  Si le prix de vente monte trop comme c'était le cas entre 2009 et 2014, ce sont les pays importateurs qui vivent à crédit, car ils n'ont pas les moyens de payer l'or noir.

La consommation moyenne de pétrole par habitant dans la monde est stable depuis 1983. Cependant, certains secteurs de l'économie sont de moins en moins efficients et consomment toujours plus d'énergie pour parvenir au même résultat (pétrole, santé, traitement de l'eau, secteur minier, électricité). Donc, la "quantité nette" de pétrole réellement consommée par les citoyens diminue beaucoup plus rapidement (Net 1 et Net 2). Source: http://ourfiniteworld.com/2014/12/29/how-increased-inefficiency-explains-falling-oil-prices/

La consommation moyenne de pétrole par habitant dans la monde est stable depuis 1983. Cependant, certains secteurs de l'économie sont de moins en moins efficients et consomment toujours plus d'énergie pour parvenir au même résultat (pétrole, santé, traitement de l'eau, secteur minier, électricité). Donc, la "quantité nette" de pétrole réellement consommée par les citoyens diminue beaucoup plus rapidement (Net 1 et Net 2). Source: http://ourfiniteworld.com/2014/12/29/how-increased-inefficiency-explains-falling-oil-prices/

Le pic pétrolier est une réalité physique incontournable

Moins de 1% de la population française maîtrise la notion de pic pétrolier. Lorsque je pose la question au début de mes conférences, 5 à 10% des personnes dans la salle se disent en mesure de l'expliquer à quelqu'un. Or, le public qui vient voir des conférences n'est pas vraiment représentatif de la diversité d'une population.

Parmi ces "moins de 1%", beaucoup ont jeté l'éponge depuis la baisse du prix du baril, doutant parfois de leurs propres affirmations. J'ai discuté récemment avec un responsable politique qui me disait "dans mes présentations, je parle du climat mais plus du pic pétrolier. Depuis que le prix s'est effondré, personne n'y crois plus". Pourtant, la notion de pic pétrolier est indiscutable et incontournable, il faut l'affirmer haut et fort.

Le pic du pétrole conventionnel est déjà passé depuis 2008.

Le pic de consommation par habitant a été passé en 1980.

Seul le pic de production "tous liquides" (incluant le pétrole extra lourd, le offshore profond, le pétrole de schiste, les liquides de gaz naturel, les agrocarburants, etc.) n'a pas encore été dépassé et le délai ne dépendra que de la capacité de l'économie mondiale à générer de la dette, soit pour maintenir une production déficitaire lorsque les prix sont bas, soit pour maintenir des États déficitaires lorsque les prix sont hauts.

Pendant ce temps là, le parc d'attraction Pétroland vous offre les montagnes russes !


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