Prix du pétrole: y aura-t-il vraiment des gagnants ?

15 septembre 2015

D'un côté, il y a les États-Unis qui ont bouleversé le marché pétrolier avec un doublement de leur production en six ans (+4.5 Mb/j). Une véritable "révolution" que personne n'avait vu venir et c'est bien là le problème: l'économie mondiale n'était pas prête à absorber une hausse aussi rapide et l'offre de pétrole est supérieure à la demande (surplus de 2.5 Mb/j). C'est le prix élevé du pétrole entre 2009 et 2014 qui a permis ce phénomène, mais c'est également ce même prix qui a mis en difficulté les gros importateurs comme l'Europe et la Chine.

Désormais, les choses semblent prendre une autre tournure chez l'Oncle Sam, puisque l'on parle d'une véritable "hémorragie de capitaux" ! En effet, le prix de vente est maintenant inférieur au coût de production et toutes les compagnies perdent de l'argent, même celles qui sont situées dans les meilleurs "spots". La très sympathique baisse des prix dont politiciens et économistes se félicitent, provoque un repli massif des investisseurs qui ont retiré 30 milliards de dollars au premier semestre 2015. La dette de ce secteur a doublé en quelques mois pour passer à 170 milliards de dollars au début de cet été, à tel point que les créances des compagnies sont quasiment "considérées comme toxiques". La conséquence directe, c'est un déclin de la production de 7% en six mois (-0.35 Mb/j) et l'EIA, envisage une baisse de 1 Mb/j supplémentaires pendant l'année qui vient. Selon Art Berman,"la fête est finie" !

Baisse de la production de tight oil aux Etats-Unis. Données EIA.

Baisse de la production de tight oil aux Etats-Unis. Données EIA.

De l'autre côté, il y a l'OPEP et notamment l'Arabie Saoudite, ainsi que la Russie. Ces pays exportateurs de pétrole ont l'avantage de disposer d'un pétrole plus facile à extraire, moins coûteux, mais en revanche, leur équilibre budgétaire dépend essentiellement des ventes de pétrole et donc de son prix (voir graphique ci-dessous).

En refusant de baisser sa production comme elle le faisait depuis des décennies, l'Arabie Saoudite voulait faire fléchir les États-Unis, coupable d'avoir perturbé l'équilibre précaire de l'offre pétrolière mondiale. Depuis, la situation saoudienne est mauvaise, mais les richesses accumulées quand le prix du baril dépassait les 100$ lui laissent un certain répit. Le FMI indique que le Royaume va présenter un déficit budgétaire, pour 2015, de 20% du PIB (à titre de comparaison, rappelons que celui de la France ne doit pas dépasser 3% du PIB, selon les accords européens). La vente de pétrole représente 90% des recettes publiques et la baisse du prix oblige l'Arabie Saoudite à puiser dans ses réserves financières. Au rythme actuel, tous les pétrodollars accumulés pendant la dernière décennie (732 Md$ à fin 2014) pourraient fondre en deux ans seulement. Le FMI suggère donc de sévères coupes dans les dépenses et une diversification de ses recettes. À quand l'austérité chez les rois du pétrole ?

Seuil de prix du baril en dessous duquel la balance fiscale des pays n'est plus équilibrée. Source: bbc.com

Seuil de prix du baril en dessous duquel la balance fiscale des pays n'est plus équilibrée. Source: bbc.com

Le Vénézuela est complètement étranglé, car ce sont 95% des recettes publiques qui sont issues de la vente du pétrole. La forte diminution des importations de produits de première nécessité provoque des pénuries et une inflation qui pourrait dépasser les 100% en 2015. Le Président Nicolas Maduro tente donc de provoquer une rencontre avec les principaux producteurs pour "remettre de l'ordre".  Ce pays n'a pas les mêmes capacités que l'Arabie Saoudite pour supporter ce bras de fer.

L'Irak et la Lybie, qui subissent déjà un chaos sécuritaire, vivent une situation économique qui n'arrange rien, avec un déficit budgétaire de 12% du PIB pour le premier et un recul de 24% du PIB pour le second.

Pour l'ensemble des pays du Golfe cette situation représentera un manque à gagner de 300 milliards de dollars pour l'année 2015. N'oublions pas non plus l'Equateur, le Nigéria, l'Algérie ou l'Angola qui subissent de plein fouet cette instabilité.

La Russie est en grave récession: son PIB s'est contracté de 4.2% en un an et le pouvoir d'achat des citoyens a diminué de près de 10%. Les sanctions économiques liées à la crise en Ukraine n'arrangent rien et mettent le pays dans une situation particulièrement difficile.

En proie à des graves difficultés politiques et financières, le Président Vénézuélien a décidé de fermer la frontière avec la Colombie, ce qui provoque un véritable "chaos". Photo:Eliecer Mantilla

En proie à des graves difficultés politiques et financières, le Président Vénézuélien a décidé de fermer la frontière avec la Colombie, ce qui provoque un véritable "chaos". Photo:Eliecer Mantilla

Enfin, il reste les pays producteurs et importateurs de pétrole. Pour le Canada, le temps est à l'orage. En récession depuis le début de l'année (-0.6%), le pays des sables bitumineux mise beaucoup sur le pétrole et autres productions minières qui représentent 8% du PIB.  Actuellement, les projets de développement sont stoppés et la validation d'un oléoduc vers les États-Unis (Keystone XL) ou vers l'Europe (Énergie Est) sera déterminante pour l'avenir de cette filière énergétiquement absurde.

Idem pour le Brésil qui n'est pas en meilleure forme, avec un déficit budgétaire qui a triplé en deux ans. La croissance économique ressemble presque à celle de l'Europe (à peine plus de 1%), ce qui peut surprendre pour un pays émergent. Par ailleurs, les scandales au sein de la compagnie pétrolière Petrobras ont bloqué les investissements. Rappelons que le pétrole brésilien coûte cher à produire, car il s'agit de gisements en mer et très profonds (deep et ultra deep Offshore)

Le déficit budgétaire du Brésil (barres bleues) est passé de 3% du PIB a 9% du PIB entre 2013 et 2015. Source: The Economist

Le déficit budgétaire du Brésil (barres bleues) est passé de 3% du PIB a 9% du PIB entre 2013 et 2015. Source: The Economist

Stratégie du perdant-perdant

Un pétrole très cher fait décliner la demande et augmenter l'offre. Inversement, lorsque le prix est trop bas, les investissements ne sont plus rentables, les pays exportateurs sont en déficit et les gouvernants des pays consommateurs se vantent d'avoir relancé la croissance.

Nous sommes donc entrés dans une période de volatilité (fortes variations permanentes), qui se caractérise par une impossibilité de prévoir les évolutions à court terme. Qui pourraient donc être les gagnants d'une telle situation ?

Dans un premier temps, les ménages profitant provisoirement de la baisse du prix de l'essence et d'autres matières premières tirent bénéfice de la situation. Les élus peuvent, par ricochet, bénéficier de ce regain de satisfaction populaire. Mais tout cela n'est que du très court terme.

Puisque les investissements s'arrêtent, la transition s'arrête. Les gouvernements européens préfèrent s'accommoder de ces fluctuations, plutôt que de s'en affranchir en préparant un avenir sans pétrole. À la fin, nous serons tous perdants:

1/ les plus gros consommateurs n'auront pas tenu compte de l'urgence climatique et n'auront pas été à la hauteur des enjeux. Nous verrons ce qui sortira de la COP21.

2/ les pays importateurs auront stoppé net les investissements pour décarboner l'économie et seront toujours aussi vulnérables aux pénuries.

3/ les pays exportateurs seront exsangues et leurs économies seront toujours aussi vulnérables à la baisse des prix du brut.

Serons-nous mieux préparés pour les prochaines perturbations possibles: spirale déflationniste, krach financier ou autres chocs pétroliers ? Rien n'est moins sûr !


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