Quel carburant pour les avions ? (1ere partie)

06 janvier 2011

Les quelques années pendant lesquelles j’ai travaillé dans le secteur aéronautique n’ont pas manqué d’éveiller ma curiosité quant aux solutions de remplacement du pétrole. Cela me semblait déjà indispensable, en prévision de la réduction des émissions de CO2 ou de la hausse du prix des énergies fossiles.

 

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Le transport aérien consomme chaque jour entre 4,5 et 5 millions de barils de kérosène qui, depuis la convention internationale de Chicago en 1945, ne sont pas taxés (au titre des principes de libre circulation et de réciprocité entre les pays).

Cette non-taxation a été le moteur d’un développement sans précédent pour toute la filière aéronautique, mais elle est par la même occasion son principal point faible. En effet, l’absence de taxe ne permet pas au secteur d’amortir les variations du prix du brut et rendent ainsi les compagnies aériennes, donc l’ensemble de la filière, extrêmement vulnérables.

Se pose donc la question de l’avenir de ce secteur dans un contexte énergétique dont les perspectives ne sont guère optimistes. C’est un triple défi auquel les professionnels doivent répondre : énergie, environnement et économie . Il va de soi que le premier impacte fortement les deux autres.

J’ai donc été intéressé par une publication de 2009 qui évoque l’avenir énergétique du transport aérien. Les plus grands acteurs de l’aéronautique (constructeurs, motoristes, aéroports ...), réunis dans un groupe appelé « Groupe d’Action du Transport Aérien »,  ont publié un rapport intitulé « Guide des débutants pour les biocarburants aéronautiques ». Ils présentent ainsi leur version de l’avenir sans pétrole (ou presque).


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Des agro-carburants si parfaits !

Après avoir rappelé que les agro-carburants (A.C. dans la suite de l’article) de première génération étaient en concurrence avec l’alimentation et ne présentaient pas des caractéristiques techniques satisfaisantes pour les avions, le rapport explique que les regards se tournent vers les A.C. de deuxième et troisième générations. Ces derniers seraient "parfaits" puisqu’ils n’utilisent ni produits alimentaires, ni terres agricoles, ni eau douce. La production serait donc durable !

Ces carburants seront issus de diverses sources telles que le jatropha, la Cameline, les algues ou les halophytes. Toutes ces biomasses produisent un fort pourcentage de lipides (comme le tournesol, le colza ou l’arachide par exemple) et permettent la production d’huiles. Celles-ci peuvent ensuite subir une transformation chimique et répondre ainsi aux caractéristiques exigeantes des carburants aéronautiques.

Concernant les deux premières plantes, elles ont l’avantage de pousser dans des zones de cultures difficiles, ce qui peut effectivement limiter l’utilisation de terres agricoles. En revanche, ce sont des plantes sauvages dont la domestication n’est pas si simple. C’est pourquoi de grandes quantités d’herbicides et d’engrais seront nécessaires pour la culture industrielle. Or ces deux produits sont issus de l’industrie pétrochimique et les herbicides sont extrêmement puissants (glyphosate ou désherbant total) et provoquent une pollution durable. Il faut ajouter à cela le carburant nécessaire pour une culture mécanisée et les transports multiples indispensables entre producteurs et consommateurs.

Ces solutions ressemblent à s’y méprendre à la logique de la révolution verte dans laquelle seuls les rendements à l’hectare sont considérés. Cette logique ne tient pas compte des pollutions et des consommations énergétiques externes et elle considère la terre comme un support de culture sans vie, ce qui n’est évidemment pas durable contrairement à l’idée que ces experts voudraient faire passer.

Les algues quant à elles, même si elles sont présentées comme l’avenir des A.C., ne pourront être rentables sans de très importants progrès technologiques. En effet, suivant les technologies considérées, le prix de production peut varier de 250 à 2300 $/baril, ce qui ne permet évidemment pas de préserver une viabilité du transport aérien tel que nous le connaissons.

La technique la moins chère, c'est à dire dans des bassins extérieurs, impose une quantité de traitement chimiques très importante pour limiter la croissance de plantes indésirables. La technique de production sous verre coûte, quant à elle, plus de 1000$/baril.

 

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Reste la culture en eau salée de plantes halophytes, c'est-à-dire des plantes qui tolèrent une certaine quantité de sel dans l’eau. Ce mode de culture implique d’inonder des terres arides avec de l’eau de mer et de mettre en place un système d’irrigation. Les coûts de production seraient théoriquement proches des cultures énergétiques habituelles. En revanche, il n’existe à ce jour presque aucune exploitation, c’est donc un projet naissant. Or la mise au point et la maîtrise d’une culture aussi particulière que la culture en eau salée ne pourra se faire rapidement. De plus il faudrait une dizaine d’années de préparation des terres arides pour qu’elles deviennent suffisamment productives.

Il est important de toujours garder un regard critique sur chaque solution mise en avant. Laisser croire qu’un carburant sera réellement durable (donc sans dégradation de l’environnement ni prélèvement des ressources à un rythme supérieur à la capacité de renouvellement) tout en présentant un coût réduit ... n’est pas réaliste.

Les solutions présentées dans ce rapport sont soit très chères, soit très polluantes, soit non maîtrisées. Ces paramètres rendent donc impossible une croissance du secteur aéronautique, ne permettent pas une production durable ou une mise en oeuvre suffisamment rapide.


La seconde partie de l'article analysera les ordres de grandeurs impressionnants  de cultures nécessaires.


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