Quelles solutions pour changer de modèle agricole ?

03 janvier 2014

Dans le dernier article, repris par le site Terra Eco, j'expliquais pourquoi la lutte pour la sauvegarde du modèle agricole actuel était une mauvaise option. Comme promis, voici maintenant quelques pistes pour envisager un système alimentaire plus durable et plus résilient.

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Un champ de permaculture - source: 3min30.com

Les intrants

Concernant les consommations d’énergie fossile  liées à la fabrication des engrais, les pratiques biologiques semblent parfaitement adaptées puisqu’elles limitent au maximum les intrants de synthèse. Les fermes en polycultures-élevage peuvent viser l’autonomie de ce point de vue, en enrichissant les sols avec le fumier issu de l’élevage. L’avantage principal réside dans la réduction des coûts et l’autonomie, mais l’inconvénient est le temps de travail plus important pour l'exploitant.

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Ferme Saute-Mouton à Tigy (45) en polyculture-élevage

Le phosphate

L’exportation en dehors de la ferme des produits agricoles entraîne un déficit en phosphore de l’ordre de 0,4 kg/ha/an. Sachant qu’un humain en rejette environ 0,7 kg/an, le retour à la terre des excrétions de 6 personnes peuvent théoriquement suffire à compenser la perte pour un hectare cultivé.

Il est également possible d’utiliser de la poudre d’os, des arêtes de poisson ou des scories de déphosphoration.

Selon ces chiffres, pour un bourg de 3000 personnes, cela représente 500 hectares de terres cultivées auxquels il serait bon d’ajouter 50 hectares de plans d’eau, forêts et haies. Je rappelle au passage que la France dispose d’environ 1 ha agricole pour 2 personnes.

Par ailleurs, le phosphore est normalement absorbé par les plantes grâce aux mycorhizes, un champignon qui le solubilise et le rend assimilable. Malheureusement, l’apport excessif d’engrais et les fongicides détruisent l’équilibre nécessaire à cette étape naturelle et rend obligatoire l’apport artificiel et massif de phosphates. Si les pratiques agricoles changeaient pour permettre à ce processus de fonctionner à nouveau, les sols français contiendraient suffisamment de phosphore pour des décennies de culture sans apport extérieur.

 

La force mécanique

Nous parlons ici de la substitution des machines agricoles, toujours plus grosses et puissantes, mais aussi coûteuses et technologiques. Dans tous les cas il faut commencer par réduire le besoin en favorisant, par exemple, les techniques de travaux légers du sol comme le semi direct et en limitant le nombre de passages. Parfois, l'agriculture biologique compense l'absence de biocides par un nombre de passages de tracteurs plus important. "Biologique" ne veut donc pas forcément dire "moins de pétrole".

La  permaculture ou le maraichage bio-intensif sont des pratiques particulièrement intéressantes de ce point de vue puisqu’elles tendent à optimiser le rendement par surface cultivée et à réduire la taille des parcelles. Elles limitent donc l’usage des machines agricoles imposantes qui tassent le sol.

Bonus priorterre jardins du loup: Une technique d'agroécologie,le bio intensif

Faire évoluer les outils

Pour ceux qui souhaitent conserver la traction liée au moteur thermique, il est bon de rappeler que le moteur diesel est tout à fait capable de fonctionner avec des huiles végétales. Il est donc possible de réserver une partie de la terre pour produire des plantes oléagineuses destinées à la production d'huile. On estime qu'1 ha de colza donne en moyenne 1000 litres d'huile et 2 tonnes de tourteaux qui pourront nourrir les animaux. A l'échelle d'une grande exploitation, 10 ha de colza permettent de faire tourner un tracteur sur 100 ha pendant une année et de compléter la ration alimentaire de 10 vaches laitières.

La traction animale est également très intéressante. Elle a été abandonnée dans les pays industriels, mais la hausse du prix du pétrole génère déjà un regain d’intérêt pour cet "outil".

L’idée n’est pas de revenir aux techniques du début du XXe siècle, mais de s’en inspirer pour y appliquer les progrès techniques que nous avons connus depuis. Il existe aujourd’hui de nombreuses améliorations dans ce domaine : harnachements légers et peu encombrants, systèmes de relevages hydrauliques, pneus bien adaptés au travail de la terre etc. Selon Eric Souffleux, maraîcher qui pratique la traction animale entre Nantes et Saint-Nazaire, entre un sol tassé par les roues des tracteurs et un sol souple travaillé avec des animaux, il y a 20% de vie microbienne en plus que l'on retrouve également dans les rendements des cultures.

 

Tech & bio 2013

Il faut cependant bien penser qu’un cheval de trait demande de l’alimentation et de la surface disponible estimée à environ 1 hectare. Il faut en déduire que cultiver avec un cheval ne veut pas dire "sans énergie" ! Par ailleurs, le nombre de personnes capables de dresser des chevaux de traits est très réduit. Il conviendrait donc de développer à nouveau ces compétences.

Il est également possible de combiner cheval et tracteur, qui peuvent tout à fait cohabiter et être utilisés en fonction des besoins.

 

La ferme de la Grelinette : exemple d’agriculture optimisée

L’exploitation de Jean-Martin Fortier, un jeune maraîcher québécois, a été pensée pour optimiser l’utilisation de l’énergie et du matériel. La ferme n’est pas autonome, puisque tous les fertilisants viennent de l’extérieur, mais la conception a été particulièrement bien étudiée et le résultat est excellent, tant d’un point de vue agronomique que d’un point de vue économique.

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Ferme de la Grelinette, Québec - Source: lagrelinette.com

Sans rentrer dans le détail puisque tout est expliqué dans son excellent ouvrage « le jardinier-maraîcher », je vais simplement reprendre quelques chiffres qu’il nous donne et qui parlent d’eux-mêmes (dollars canadiens convertis et arrondis en euros):

- Surface cultivée : 0,8 ha

- Revenus bruts annuels: 90 000€ (112 000€/ha)

- 120 familles alimentées par des paniers + 2 marchés par semaine

- Moins de 50h de travail par semaine et par personne

- 25 000€ d’investissement

- 170€ de gazole par an pour les cultures (motoculteur)

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Agriculture de subsistance

Pour terminer cet article, voici quelques ordres de grandeur pour l’autosuffisance alimentaire. Les chiffres cités précédemment concernent principalement les légumes. L’apport de protéines et surtout de céréales doit venir en supplément. D’après Joseph Pousset, 2,5 ha sont nécessaires pour produire la totalité du régime alimentaire de 4 adultes français (0,6 ha/personne).

Gérer une telle surface demande beaucoup de travail et correspond environ à l’emploi à temps plein d’une personne. Les configurations pour aller vers l’autosuffisance alimentaire totale ou partielle sont multiples. Parler d'autosuffisance peut s'appliquer à une famille mais également à un territoire.

Selon Patrick Déry et Folke Günther, si l'on accepte de modifier notre régime alimentaire, il est possible de produire une alimentation suffisante, complète et diversifiée avec seulement 0,2 ha/personne, c'est-à-dire 3 fois moins de surface.

 

Conclusion

Pour résumer je vais lister quelques points essentiels pour l’avenir de notre alimentation :

- réduire la consommation d’énergie fossile

- utiliser une partie limitée de la biomasse pour faire de l’énergie

- densifier les cultures pour limiter le besoin de mécanisation

- cultiver prairies et zones d’ornements

- organiser le retour à la terre des excrétions et autres matières organiques

- stopper progressivement les techniques qui détruisent les sols

- favoriser boisements champêtres et couverts végétaux

- réduire la consommation de viande et donc l’élevage

- préserver les zones humides

- préserver et sécuriser l’approvisionnement en eau

- favoriser l’emploi de l’azote et du phosphore symbiotique

- sensibiliser les populations urbaines aux contraintes agricoles

- etc.

Les pistes sont nombreuses pour rendre l’agriculture durable. Ce qui est certain, c’est que notre système agricole ne peut plus fonctionner comme aujourd’hui.  Les AMAP  et Terre de liens sont des exemples formidables de rassemblement et de solidarité entre la ville et la campagne. Il faut pérenniser et développer ces pratiques durables, solidaires et respectueuses.

L'objectif n'est surtout pas de prôner l'individualisme ou le survivalisme, mais de recréer le lien entre producteurs et consommateurs, d'augmenter la part d'autosuffisance alimentaire et d'appliquer ainsi un modèle durable à des besoins durables.

 

Quelques sources d'informations:

-Joseph POUSSET, Agriculture naturelle, répondre aux nouveaux défis, 2008.

-Patrick DERY, Péréniser l'agriculture, 2007.

-P.DESBROSSES, E.BAILLY, T. NGHIEM, Terres d'avenir pour un mode de vie durable, 2007.

-Y.COCHET, Petrole Apocalypse, 2005


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