Je me suis rendu à Paris, jeudi 29 septembre, pour la publication du nouveau scénario négaWatt 2011.
Je dois dire que j’étais très curieux d’assister à cette présentation car je me faisais une certaine idée des précédentes versions. Avant de faire un article, je voulais voir quelles seraient les grandes nouveautés annoncées.
Photo: Yohann DIDIER
Une situation d’une rare complexité
Pour commencer, je dois dire que le défi relevé par l’association des nW est énorme :
- Réduire de 92% les émissions de CO2 et la consommation de pétrole avant 2050
- Fermer toutes les centrales nucléaires avant 2035
- Ne pas trop changer les modes de vie
Et ce, dans le contexte suivant :
- 93% des transports dépendent du pétrole
- 75% de l’électricité est d’origine nucléaire
- Tous les secteurs sont actuellement dépendants du pétrole, notamment l’agriculture et le système de santé qui sont essentiels pour la population
- La plupart des logements ne sont pas bien isolés et beaucoup sont chauffés avec des grille-pain
- Etc …
Une fois qu'on a dit ça, on comprend que faire boucler un tel scénario relève de longues recherches, d’un minutieux travail multi-compétences et d’hypothèses de départ raisonnablement choisies. C’est mon sentiment après avoir écouté les différents intervenants pendant 3 heures. Je suis admiratif du résultat car, selon les chiffres, il serait théoriquement possible de sortir du nucléaire et du pétrole d’ici 2050 … sans trop changer nos modes de vie.
Je dis bien en théorie car ce scénario n’intègre pas de critères économiques ni aucun facteur de rupture (crash boursier, conséquences systémiques du pic pétrolier, raréfaction des matériaux rares etc…), alors que bien évidemment, chère lectrice ou cher lecteur de mon blog, vous savez très bien que ces ruptures vont intervenir.
Dans un premier temps, je vais faire ressortir quelques points clés qui m’ont semblé intéressants et qui montrent le travail important réalisé. Il faudra attendre l'article suivant pour mon regard plus critique sur le scénario dans son ensemble.
Triptyque Sobriété, Efficacité, Renouvelable
C’est la base du scénario, l’emblème de l’association. C’est effectivement la seule combinaison durable pour la production et la consommation d’énergie. Je suis parfaitement d’accord avec ce principe, même si je le suis moins sur les proportions attribuées à chaque catégorie, j’y reviendrai.
Logo du scénario négaWatt
La priorité est donnée à la sobriété, c'est-à-dire la réduction du besoin par le changement des comportements, des organisations ou la suppression des gaspillages. Malheureusement, cet aspect fondamental est à peine traité par l’association qui se focalise sur les aspects techniques.
Le plus gros du changement se joue sur l'efficacité énergétique, c'est à dire le renouvellement des équipements énergivores. Enfin, le peu d'énergie qu'il resterait à fournir serait issu de sources renouvelables.
Gestion de l’intermittence des énergies renouvelables
La question de l’intermittence des EnR est toujours au centre du débat sur leur potentiel de développement. Pour l’équilibre du réseau, il ne serait pas possible d’intégrer un fort pourcentage d’énergies renouvelables. L’association semble avoir trouvé une parade en dévoilant une réponse technique faisable et réaliste: la méthanation.
Le principe est assez simple. Lorsque vous produisez trop d’électricité, plutôt que de la stocker dans des batteries, celle-ci est utilisée pour produire de l’hydrogène par électrolyse. Cet hydrogène est ensuite combiné avec du CO2 afin de produire du méthane que l’on pourra injecter directement dans le réseau de gaz naturel.
Ainsi, c’est le réseau de gaz naturel qui sert de stockage d’énergie et lorsque le besoin d’électricité devient plus fort, ce même gaz est utilisé dans des centrales thermiques à cycle combiné.
Graphique qui permet de voir quelles sont les pertes du système de stockage par méthanation
Autrement dit :
Vous produisez 100 kWh d’électricité avec une éolienne
Après électrolyse, il vous reste 75 kWh sous forme d’hydrogène
Après méthanation, il vous reste 60 kWh sous forme de méthane
Après combustion du méthane dans une centrale à gaz, vous produisez 36 kWh d’électricité.
Les pertes sont essentiellement sous forme de chaleur et une partie serait récupérable dans des réseaux de chaleur. Le rendement de stockage électrique reste quand même assez mauvais (36% maxi), mais le gros avantage est que le gaz peut aussi servir pour la cuisine, le chauffage ou les transports.
Fermeture progressive des centrales nucléaires après 40 années de fonctionnement
La planification de fermeture des centrales proposée par ce scénario semble vraiment très sérieuse. En effet, elle prend en compte de très nombreux paramètres comme la vétusté des installations (pas plus de quarante années), le rythme de développement des renouvelables (j’y reviendrai plus tard), l’évolution de la demande en électricité ou l’augmentation du prix global de l’énergie nucléaire au fur et à mesure que les centrales vont fermer.
Ce dernier point est intéressant car l’ensemble de la filière (combustible, traitement des déchets etc…) est dimensionné pour 58 réacteurs et maintenir son fonctionnement pour quelques réacteurs sera trop coûteux. Il faudra donc accélérer la fermeture des dernières centrales à horizon 2030-2035.
Sortie de la dépendance aux énergies fossiles
La courbe de consommation de pétrole d’ici 2050 est spectaculaire. Selon le scénario nW, la consommation française de pétrole pourrait se réduire volontairement de 95% en 40 ans.
Ce pari est ambitieux mais cette évolution, même si elle est réaliste car soumise à une réalité physique de baisse de la capacité de production mondiale, ne pourra pas se faire sans un changement profond des modes de vie.
Diversification du bouquet énergétique national
Notre système énergétique actuel n’est pas résilient car il n’est pas diversifié. Miser sur une grande variété de sources primaires ne peut être que positif, c’est pourquoi j’appuie volontiers cette orientation. Les graphiques ci-dessous présentent l'évolution du bouquet énergétique français entre 2010 et 2050. On remarque que l’association nW compte massivement sur la biomasse et le biogaz (48% du total en 2050) et l’éolien (19%) pour atteindre les objectifs fixés.
Trois heures de présentation, au pas de course, n'auront pas suffit à tout expliquer. Je n'ai pas la prétention de réussir à faire mieux en un article de blog. Je vous invite à lire la synthèse nW pour en savoir davantage.
Dans le prochain article, je porterai un regard plus critique sur cet ouvrage rigoureux mais dont les hypothèses laissent de côté une situation économique et énergétique en limite de rupture.